CHAPITRE XV
— Pilotage automatique, expliqua Habas. Nous arrivons d'ici à dix minutes. Tu ferais bien de t'habiller. Nous avons ensuite une heure et demie de voyage par terre pour rejoindre Edenla.
— Pourquoi sommes-nous si pressés, tout à coup ? demanda Ceylane.
Habas ne répondit pas. La Paradisienne s’agenouilla en souplesse sur la moelleuse couchette de la cabine. Puis elle se leva d'un bond, les mains tendues au-dessus de sa tête pour se protéger d'un choc éventuel contre le plafond. La pesanteur à 0,5 g l'amusait encore beaucoup. Par contre, ce retour précipité sur la Terre la laissait pleine de désarroi.
Elle s'efforça de cacher son amertume sous une attitude joueuse et provocante. Ce n’était pas le moment d’inquiéter le chef Habas. Mais elle devait éviter d’en faire trop dans l'autre sens.
Debout entre les deux couchettes, elle s’étira longuement, la tête penchée en arrière, ses longs cheveux blonds changés par la lumière de la cabine en un flot liquide coulant jusqu'à ses reins, la poitrine cambrée, les mains en coupe sous ses seins. Elle tournoya deux ou trois fois comme si elle voulait profiter de la pesanteur réduite pour s'envoler. Son ventre et ses fesses frôlèrent le visage renfrogné de Habas, qui se tenait tassé sur un tabouret tournant, le dos au tableau de bord auxiliaire. L’homme se dérida malgré lui. Une lueur s'alluma dans son regard pâle.
— Quelle superbe hétaïre !
— Qu'est-ce que c'est ? demanda Ceylane en feignant une vague curiosité.
Elle pensa : « Je te tuerai bientôt ! » Mais le moment n'était pas venu et elle ne savait pas encore si les derniers événements l'avaient rapproché ou éloigné.
— Je t'ai posé une question, fit-elle sur un ton boudeur. Pourquoi sommes-nous si pressés ? Qu'est-ce qui se passe ? Je ne m'habillerai pas tant que tu ne m'auras pas répondu !
Habas se retourna, prononça un mot codé et quelques chiffres, puis il remonta ses bottes, se leva et commença à enfiler un magnifique blouson de cuir naturel par-dessus la fine combinaison collante et thermostatique qui moulait son corps maigre.
— Oui, oui, je vais te répondre. Je préférais ne pas te parler de mes ennuis sur Ile-Mara...
— De peur que je te laisse tomber et que je reste là-haut ? En renonçant à la petite fortune que nous allons nous faire ?
— Peut-être. Il y a un peu de ça. J'espère bien que nous allons partager une petite fortune. Mais ce sera peut-être plus difficile que je le pensais... Eh bien, tu t'en doutes, il s'est produit des événements graves dans le secteur. Pas à Edenla : du côté de Nomenhir, le village irien. Je t'ai exposé la question des Iriens. J'ai décidé d'assiéger ce clan et de le capturer en totalité. Du moins, les survivants, et je souhaitais qu’ils soient nombreux. Nombreuses, surtout, puisque les iriennes sont la meilleure marchandise que nous ayons. Un pour cent d'entre elles sont classées troisième catégorie : c'est mieux que rien.
« Qu'est-ce qui se passe ? D'abord, nos mercenaires eloans, ennemis héréditaires des Iriens, deviennent de plus en plus exigeants et difficiles à tenir. Et puis les guerrières de Nomenhir sont devenues extrêmement agressives et dangereuses. Enfin, le sorcier de Nomenhir est un peu trop malin...
« Les Iriens sont une espèce en voie de disparition. Leur genre de vie les condamne. L’homme est fait pour vivre au grand jour... Et puis les Iriennes font la guerre au lieu de faire l'amour. Elles n'ont plus d’enfants et la population nocturne ne cesse de diminuer.
« Nous allons donc les transporter dans un centre d’élevage, tous, hommes, femmes et les quelques enfants qu’ils ont encore. Nous les obligerons d’une façon ou d’une autre à se reproduire beaucoup. Ce système nous permettra de livrer chaque année un nombre suffisant de belles engagées à la peau claire, puisqu’on nous en demande pas mal, et en même temps nous sauverons l’espèce. Bon, voilà le projet.
« Mais ton bon camarade, Lorek Sam Lara, a l’air d’en avoir un autre ! »
— Ce n’est plus mon bon camarade ! s’exclama Ceylane. Et tu as...
Il la coupa d’une voix très froide.
— Ecoute-moi. Je ne retire rien à ce que j’ai dit. Ce type est très fort. Il fera une recrue de classe exceptionnelle... mais nous ne le tenons pas encore. Il a rejoint Nomenhir et fait alliance avec les Iriens assiégés. Comment il s’y est pris, je l’ignore. C’est peut-être un coup du sorcier. Peu importe, du moins pour le moment.
« Je reconnais que son intervention n'est pas prouvée. Mais elle est, comment dire, signée. Les Iriens ont réussi une sortie en plein jour et ont attaqué un convoi de prisonniers avec des lance-rayons... Tu entends bien? Des lance-rayons ! Et ce n’est pas tout. Ils ont pris d'assaut un camp d’esclaves à vingt-cinq kilomètres au sud de Nomenhir. Le soir, au crépuscule... Et en revenant, ils ont force blocus en me tuant je ne sais combien d'hommes.
— Des hommes à toi... des cheveux rouges ?
— Oui, ma belle. Et d'après les informations de Dawson et N'Gieh, certains ont été tués avec un radiant que Lorek Sam Lara a pris à un des nôtres. Oui, celui qu'il a tué dans le sous-sol d'Edenla, le jour où tu es venue me rejoindre. Cet imbécile n'avait pas le droit de porter un radiant sur lui. Mes hommes sont des...
« Ils ne forment pas une troupe très homogène. Et ils ont pris l'habitude de laisser les Eloans se battre à leur place. Ils ne sont pas très efficaces ni très courageux. Et je viens d'en perdre une douzaine dans cette affaire. Les autres sont fous de peur et de rage. En mon absence, ils ont décidé d'exterminer le clan de Nomenhir.
« Plus question de flèches empoisonnées. Ils ont pris un appareil volant, au risque de terrifier les Eloans. Un gyro comme celui qui va nous transporter à proximité d'Edenla d'ici à quelques minutes... Et ils ont arrosé les environs de Nomenhir avec des gaz pour interdire toute sortie aux Iriens. En attendant d'aller les asphyxier dans leur trou !
« Voilà pourquoi nous rentrons précipitamment, Ceylane Sin Maine. Pour sauver ton camarade Lorek Sam Lara, et du même coup quelques milliers d'Iriens et d'Iriennes ! »
Une voix douce jaillit du tableau de bord.
— Nous pénétrons dans l'atmosphère. Veuillez prendre place sur les sièges de sécurité.